Le Nabokov de Jean Blot n’est pas, on le devine, une simple biographie qui s’en tiendrait à la vie privée de cet  écrivain de toujours. Comme à son habitude, l’auteur se plaît à mélanger les registres, passant de la vie intime de son héros à l’histoire en train de s’écrire, de l’anecdote qui en dit long à de savantes digressions sur ce qu’est la littérature. Et il a toute la latitude de le faire, lui qui est considéré comme l’éminent spécialiste de Nabokov, partageant avec lui un même pays d’origine et une même maîtrise de plusieurs langues.

La vie de celui qui affirme appartenir à la « grande intelligentsia sans classe de la Russie », le narrateur la suit dans ses moindres méandres comme il épouse l’évolution de la pensée de l’écrivain. Il dit ainsi qu’elle se déroule « en quatre actes et trente volumes ». Le premier se passe en Russie, à Saint Pétersbourg, dans le labyrinthe d’une famille d’aristocrates où se détache la figure d’un père, libéral convaincu et passionné de papillons. La famille quitte définitivement ce pays le 2 avril 1919 sur un bateau qui s’éloigne de Sébastopol tout juste prise par les bolcheviks.

Le second acte, toujours en russe, a pour cadre l’Europe occidentale, Cambridge, Berlin, Paris où Nabokov, émigré ruiné, vit un triple exil : celui, spirituel, de sa vocation d’écrivain et celui, biographique que double l’interdiction de retourner sur les lieux qui lui furent chers. Le troisième n’est autre que son arrivée en Amérique début 1940, sa mue de grand écrivain russe en grand écrivain américain, un exploit qui lui permet de mener à nouveau un grand train de vie et de devenir, comme son père, professeur d’université.

Enfin, Montreux où Nabokov renoue avec le passé et traduit en russe ses livres rédigés en anglais. Et Blot de conclure sur l’œuvre de ce grand amoureux du bonheur : elle « doit durer toujours parce qu’elle a apporté, dans le tableau complexe de la sensibilité humaine, une couleur qui lui manquait ».