Grand spécialiste de la littérature russe, Jean Blot est connu pour ses traductions et ses essais sur quelques monstres des lettres slaves orientales. Tel est le cas d’Ivan Gontcharov, peu connu en France, mais adulé en son pays, considéré comme l’un des fondateurs du roman russe et du réalisme et comme le créateur d’un mythe littéraire : Oblomov. Le terme « oblomovisme », sorte d’apathie ou d’engourdissement se traduisant par la procrastination, fait d’ailleurs partie du langage courant en Russie.
Revenons à Gontcharov et à sa vie que nous fait découvrir Jean Blot. Né à Simbirsk, ville que l’on considérait à l’époque comme l’épicentre de la Russie profonde, habitée par l’ennui et le sommeil que viendra rompre un de ses autres enfants, un certain Oulianov, dit Lénine, il est un exemple parfait du destin du milieu intellectuel et de la bourgeoisie sous le tzar Nicolas 1er. Écrivain, haut fonctionnaire, grand explorateur, Gontcharov est saisi ensuite par une grave forme de neurasthénie suivie par un délire de persécution. N’accuse-t-il pas Tourgueniev de le plagier et de transmettre à Flaubert son Oblomov dont le français s’inspirera pour rédiger sa Madame Bovary ?
Le plus passionnant est sans doute l’analyse de Blot sur la littérature et l’imagination dans le monde de la « positivité », de ces hommes nouveaux qui recherchent un accord avec le réel par l’action. « Le réalisme impossible »… Le sous-titre de cet essai a la vertu d’être limpide. Gontcharov ne peut constater que l’éclipse du réel et la folie de l’histoire. Et l’auteur de songer à copier son héros : « Il ne reste plus qu’à endosser la robe de chambre d’Oblomov et à se coucher dans son lit ». Dans son épilogue, ne s’interroge-t-il pas sur cette étrange décoloration des choses, cette régression infantile du monde ?
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